La télésurveillance de prothèses rythmiques
Rodolphe Letouzey, Infirmier DE, CHU de Nîmes, Nîmes, mai 2021
La stratégie nationale de santé 2018-2022 fixe les priorités du ministère des solidarités et de la santé pour les cinq prochaines années. L’une des ces priorités est de lutter contre les inégalités sociales et territoriales d’accès à la santé et notamment de garantir l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire en généralisant les usages du numérique en santé pour abolir les distances.
L’usage de la télémédecine doit être généralisé dans la pratique quotidienne des professionnels de santé. Il s’agit également d’impliquer davantage les usagers dans l’utilisation du numérique en santé.
Chaque année, en France, 68000 nouveaux patients sont implantés d’un pacemaker et 12000 d’un Défibrillateur Automatique Implantable [1].
Au total, 350000 patients sont porteurs d’un pacemaker et 60000 patients sont porteurs d’un Défibrillateur Automatique Implantable[1].
On estime à 40000, le nombre de patients porteurs d’une prothèse cardiaque et suivis en télémédecine [1].
Dans les services de cardiologie, la télécardiologie est devenue une pratique quotidienne.
En quoi consiste-t-elle ? Quelle sont les organisations qui ont été mises en place pour télé-surveiller tous ces patients et quelle est la place de l’IDE ?
[1] : Arrêté du 14 Novembre 2017 portant cahier des charges des expérimentations relatives à la prise en charge par télésurveillance des patients porteurs de prothèses cardiaques implantables à visée thérapeutique mises en œuvre sur le fondement de l’article 36 de la loi n°2013-1203 de financement de la sécurité sociale pour 2014.
Définition de la télécardiologie
En France, la télémédecine est définie par le Décret n° 2010-1219 du 19 Octobre 2010, comme étant des actes médicaux réalisés à distance, au moyen d’un dispositif utilisant les technologies de l’information et de la communication (TIC).
5 actes de télémédecine sont également définis par ce décret dont la télésurveillance médicale :
Elle a pour objet de permettre à un professionnel médical d'interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical d'un patient et, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à la prise en charge de ce patient. L’enregistrement et la transmission des données peuvent être automatisés ou réalisés par le patient lui-même ou par un professionnel de santé.
La télécardiologie peut être définie comme étant la télémédecine se rapportant à la cardiologie.
Historiquement, le terme de « telecardiologie » désigne la télésurveillance des patients porteurs de Dispositifs Médicaux Implantables Communiquant (DMIC) de type Défibrillateur Automatique Implantable (DAI), pacemaker (PM) et Moniteur Cardiaque Implantable (MCI).
Cependant, il est à préciser qu’en cardiologie la télémédecine peut englober bien d’autres aspects comme par exemple la télésurveillance des patients insuffisants cardiaques ou la télé-expertise s’agissant de l’interprétation d’ECG à distance.
Intérêts pour le patient
La CNEDIMTS a remis à la HAS en Juillet 2017, un rapport d’évaluation des systèmes de télésurveillance pour défibrillateur cardiaque automatique implantable. Dans ce rapport, l’intérêt pour le patient d’une prise en charge par télésurveillance a été mis en évidence par plusieurs études (Trust, connect, Ecost…) et les méta-analyses qui en ont été faites.
Leurs analyses ont montré qu’un suivi par télésurveillance permet de :
-réduire les chocs inappropriés
-réduire les délais de transmission de l’information
-réduire le nombre de consultations et donc le nombre de déplacements parfois longs pour se rendre dans un CH équipé pour suivre les DAI.
Les recommandations de la Heart Rythm Society de 2015 précisent également que la télésurveillance est utile pour :
- Une détection précoce de la FA
- Surveiller les sondes et l’usure de la batterie.
La HAS confirme l’intérêt médical d’un suivi de DAI par télésurveillance sans générer pour la sécurité des patients de sur-risque en termes d’événements indésirables graves, sous réserve des modalités de sa mise en œuvre sur le plan technique, médical et organisationnel.
Dans son rapport de Mars 2021, la HAS considère que le suivi par télésurveillance présente un intérêt clinique pour les patients porteurs d’un MCI, sous réserve de la mise en place d’une bonne organisation.
III : Fonctionnement de la télécardiologie.
Il existe 5 grands industriels qui fabriquent les DMIC en cardiologie.
Les 5 tiers-industriels sont sur la liste des solutions techniques déclarées conformes au cadre réglementaire de la télésurveillance au 26 Avril 2018. Cette liste est mise à disposition par la DGOS. Cela implique, entre autre, qu’ils respectent les recommandations de la CNIL en tant qu’hébergeurs de données de santé.
En 10 ans, les 5 constructeurs de DMIC cardiaques ont uniformisé le fonctionnement des systèmes de transmission et ont optimisé la fiabilité du matériel de télésurveillance.
Suite à l’implantation du DMIC, Il est remis au patient un boitier de télésurveillance qu’il doit installer à son domicile. Depuis peu et pour une marque et 2 modèles de prothèse cardiaque en particulier, l’utilisation d’applications téléchargeables sur Smartphone semble être privilégiée en remplacement du transmetteur.
Le DMIC communique avec le transmetteur par radiofréquence puis le transmetteur transmet via le réseau GSM les informations recueillies à un serveur central propre à la marque (hébergeur de données). Ce serveur les analyse puis les transmet au centre médical qui assure le suivi sur un site internet sécurisé. La connexion au site internet de chaque marque nécessite un identifiant et un mot de passe propre à chaque utilisateur.
3 exemples de transmetteurs en télécardiologie :
De gauche à droite : Biotronik,Sorin , Medtronic.
Le rapport ainsi recueilli est identique à celui d’une consultation en face à face avec interrogation du DMIC à l’aide d’un programmateur.
Il comprend :
- les alertes à traiter ;
- Les données techniques concernant le boitier et la batterie (tension et longévité estimées) ;
- Les résultats des tests effectués sur les sondes (impédance et seuil) ;
- les événements rythmiques concernant l’étage ventriculaire et auriculaire et les EGM qui y sont associés ;
- les réglages effectués par le cardiologue lors de la dernière consultation ;
- les paramètres cliniques (FC, temps d’activité du patient, etc…) ;
Il n’est pas possible de modifier les réglages des prothèses cardiaques à distance. Seul le cardiologue peut effectuer des modifications de réglages à l’aide d’un programmateur en consultation face à face.
Il existe 3 modes de transmission :
- Les transmissions programmées :
Il est possible de recevoir des rapports à intervalle programmé, ce qui permet d’assurer un suivi régulier des patients. En général, la transmission programmée s’effectue tous les trois mois.
La période entre 2 transmissions programmées peut être modifiée à distance et notamment être plus rapprochée. Certains de nos patients sont suivis mensuellement notamment ceux dont la batterie est proche de la fin de vie, ceux dont les sondes font l’objet d’un suivi de matériovigilance, ou ceux qui cliniquement sont plus à risque
- Les transmissions automatiques :
Les DMIC peuvent provoquer automatiquement l’envoi d’un rapport dès lors qu’ils ont détecté une anomalie de leur fonctionnement ou de leurs sondes.
Et notamment lorsqu’ils ont enregistré ou traité un évènement rythmique.
L’heure de la transmission est généralement programmée la nuit (2-3h le matin). Le transmetteur doit donc être posé sur la table de chevet car la distance entre le DMIC et le transmetteur ne peut pas excéder 3 m.
Ces systèmes sont prévus pour permettre une transmission des données au maximum dans les 24h suivant une alerte.
- Les transmissions manuelles :
Une transmission peut être effectuée par le patient lorsqu’il ressent un symptôme ou lorsqu’un professionnel de santé le lui demande.
Il lui suffit de se placer à côté de son transmetteur et d’appuyer sur un bouton.
Ce type de transmission est utilisé régulièrement lorsque les patients nous appellent en disant qu’ils pensent avoir ressenti un CEI ou lorsqu’ils ont fait un malaise. Cela nous permet de recevoir quasiment instantanément un rapport sans avoir à attendre le lendemain.
Les 5 industriels se sont dotés d’une plateforme téléphonique pour permettre une réponse à des questions techniques. Elle est accessible aux patients comme aux professionnels de santé. Il s’agit de numéro vert en 0800 et gratuits.
L’expérimentation ETAPES : Expérimentation de Télémédecine pour l’Amélioration des Parcours En Santé
Le développement de la télécardiologie s’appuie sur l’arrêté du 14 Novembre 2017 portant cahier des charges des expérimentations relatives à la prise en charge par télésurveillance des patients porteurs de prothèse cardiaque implantable à visée thérapeutique mise en œuvre sur l’article 54 de la loi de financement de la sécurisé sociale pour 2018 et pour une durée de 4 ans.
Les expérimentations du programme ETAPES ont été un moteur pour le développement de la télésurveillance en général et de la télécardiologie en particulier. Elles ont permis de mettre en place un cadre juridique et organisationnel dans les services. Elles ont été conduites sur l’ensemble du territoire national.
Elles ont pour but d’améliorer la qualité de vie des patients atteints de maladie chronique en parvenant à un état de stabilité de la maladie grâce à une surveillance rapprochée via la télésurveillance.
Elles on permis également de mettre en place un tarif préfigurateur et donc de permettre aux centres de facturer l’acte de télésurveillance (pour les patients en ALD uniquement).
ETAPES a ciblé 5 maladies chroniques dont deux en cardiologie : l’insuffisance cardiaque et les prothèses cardiaques.
La mise en œuvre des modalités de financement suppose que l’ensemble des prérequis et conditions mentionnés dans le cahier des charges soit satisfait.
S’agissant de la télécardiologie, seuls les patients porteurs de prothèses cardiaques implantables à visée thérapeutique sont éligibles à l’expérimentation ETAPES. En effet, pour l’instant, la télésurveillance des MCI de types Reveal ou Confirm ne peut pas être inclus bien que les centres les télé-surveillent comme les autres prothèses cardiaques car il s’agit de dispositifs à visée diagnostique.
L’inclusion au programme de télécardiologie se fait sur prescription médicale pour une durée de 1 an renouvelable. A la fin de chaque année, l’acte de télésurveillance peut-être rémunéré 130 euros par an et par patient par la CNAM.
Rôle de l’IDE
En général, les centres ont créé une unité de télécardiologie composée d’IDE et de rythmologues. Le nombre d’Equivalent Temps Plein (ETP) IDE dédié à cette activité dépend du volume de patients à surveiller. Cette unité permet de suivre quotidiennement, les jours ouvrés, les patients et leurs alertes en télécardiologie quelles que soient les absences d’un des acteurs.
L’ensemble des acteurs de la cellule de télécardiologie ont accès, de façon sécurisée, aux 5 sites internet des tiers-industriels grâce à des codes d’accès individuel.
L’unité de télécardiologie possède un bureau dédié. Ce bureau est équipé de tous les outils informatiques nécessaires à son bon fonctionnement et surtout une ligne téléphonique directe dont le numéro est communiqué au patient.
Bureau IDE de télésurveillance en cardiologie du CHU de Nîmes.
Les IDE de télécardiologie ont été formés à la télésurveillance et à la rythmologie par les rythmologues ainsi que les tiers industriels et par éventuellement un DU (DU de Rythmologie, de Télémédecine etc..). Ils maintiennent à jour leurs connaissances en participant à des congrès et en échangeant avec les constructeurs.
ETAPES a précisé clairement le rôle de l’IDE : « la gestion des événements transmis peut être (…) préalablement contrôlée par un IDE (…) chargé de transmettre les informations nécessitant son expertise au médecin effectuant la télésurveillance et de contacter le patient si nécessaire ». L’IDE de télécardiologie a un rôle de « filtre » afin de ne communiquer au médecin que les rapports des patients nécessitant son avis médical et d’appeler le patient en fonction de la réponse donnée. L’ensemble de ces actions est tracé dans le DPI du patient.
ETAPES se termine en Septembre 2021 et sera évalué par la HAS. Les résultats seront présentés au Parlement pour que le financement dans le droit commun de la sécurité sociale fasse partie de la loi de financement pour 2022.
Depuis Septembre 2020, un protocole de coopération relatif au « contrôle des dispositifs implantables rythmologique par un(e) infirmier(e) associant une prise en charge en présentiel et en télémédecine » peut être mis en place dans les établissements de santé ( JORF n°0216 : arrêté du 1 Septembre 2020). Ce protocole de coopération permet, sous certaines conditions, aux IDE d’assurer le suivi des prothèses Rythmique en télécardiologie et en consultations afin d’améliorer la qualité du suivi et à raccourcir les délais d’interventions. Il permet aux IDE de valoriser leur expertise tout en libérant du temps médical.
L’IDE assure également la remise des transmetteurs, sur prescription médicale, aux patients hospitalisés ou en consultations.
C’est un moment important. La cellule de télécardiologie est présentée au patient ainsi que son fonctionnement. Il est nécessaire d’établir une relation de confiance. Ce temps d’accompagnement s’apparente à une séance d’éducation thérapeutique individuelle et ciblée.
La remise du transmetteur se fait autour de 3 points à aborder :
1- Le matériel et son fonctionnement. Il s’agit d’expliquer au patient l’intérêt de la télésurveillance et son fonctionnement.
2- Activation du dispositif. Il s’agit d’effectuer avec le patient la première transmission afin de s’assurer que tout fonctionne correctement.
3- Signature du consentement. Le consentement écrit est recueilli puis archivé dans le DPI.
Enfin, l’IDE s’assure du bon fonctionnement du système et de l’unité de télécardiologie.
Il arrive que les dispositifs ne transmettent plus. Cette information peut faire l’objet d’une alerte ou d’une rubrique spécifique sur les sites des industriels.
L’IDE de télécardiologie doit contacter le patient pour connaitre les raisons de ce dysfonctionnement et pour y remédier. Il peut également solliciter les plateformes téléphoniques des constructeurs pour leur signaler le défaut de communication et pour qu’ils y apportent une solution. L’inverse est également possible dans le sens où la plateforme n’arrive pas à rétablir les transmissions et nous sollicite pour trouver une solution.
Elle gère également le stock et les imprévus.
Place de l’IDE de télécardiologie
La place de l’IDE de télécardiologie est centrale.
L’expérience et l’expertise accumulées ont entrainé indéniablement une montée en compétences des IDE de télécardiologie.
Une relation de confiance doit être instaurée entre tous les acteurs.
Il est l’interlocuteur privilégié des protagonistes de la télésurveillance et notamment des patients. La relation avec le patient est différente mais tout aussi intéressante.
Il permet d’optimiser le temps médical.
Au fil des années et grâce à la reconnaissance par l’expérimentation ETAPES de l’expérience et des compétences des IDE, un nouveau métier s’est créé : Infirmier en télécardiologie ou plus généralement IDE en télémédecine.
Conclusion
Par expérience, la télécardiologie ou plus généralement la télésurveillance en cardiologie ne se limite pas qu’aux DMIC. Bien souvent, les cellules de télécardiologie surveillent également les patients insuffisants cardiaques mais également les patients porteurs de LifeVest ou les patients équipés d’objets connectés à visée diagnostique. C’est cette polyvalence qui rend ce travail si intéressant.
Il est probable qu’un nouveau métier est en train d’apparaitre : IDE de télémédecine et peut-être qu’un jour, si les expérimentations basculent dans le droit commun de la sécurité sociale, le décret de compétences IDE sera modifié pour y inclure les compétences des IDE en télécardiologie.
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