Tls prothese rythmique

La télésurveillance des prothèses cardiaques implantables,  l’entrée dans le droit commun : l’ère d’après

Diane Prost, infirmière en télésurveillance de rythmologie, Centre Cardiologique du Nord, Saint Denis

Mai 2024

 

La communauté de la télécardiologie l’attendait avec une impatience non dissimulée : le passage dans le droit commun de la télésurveillance des prothèses rythmiques.

C’est chose faite depuis le 31 mars 2024, avec les arrêtés du 23 février 2024 publiés au Journal Officiel le 28 février 2024[1].

Pour rappel, cette activité bien qu’existante depuis déjà quelques années, a pris son essor grâce au programme ETAPES[2] . Ce dernier a permis la création de postes de paramédicaux dédiés à cette activité, la mise en place de nouvelles organisations, une collaboration plus rapprochée avec les industriels, mais surtout un remboursement par le système de santé, et l’équipement d’un plus grand nombre de patients.

En résumé, c’est un succès et une avancée incontestable dans la prise en charge des patients implantés.

Cependant, avec la nouvelle réglementation, les interrogations et les inquiétudes qui émanent des paramédicaux grandissent. Face aux contraintes administratives et réglementaires plus lourdes, notre charge de travail va-t-elle augmenter ? Allons nous passer l’essentiel de notre temps à effectuer des tâches administratives au détriment des tâches liées à notre rôle propre, comme par exemple, l’éducation du patient ? Allons-nous devoir repenser nos organisations qui sont encore fragiles ?

Quels vont être les nouvelles obligations pour l’opérateur de télésurveillance, et quel sera l’impact sur le rôle et les tâches de l’infirmier ?

 

1. Ce qui ne change pas

Les professionnels de santé impliqués dans la télésurveillance sont toujours les mêmes, ainsi que les qualifications exigées :

Un médecin spécialiste en pathologie cardio-vasculaire avec une compétence en rythmologie et stimulation cardiaque accompagné d’un infirmier, qui peut participer à la télésurveillance soit dans le cadre de ses compétences propres[3], soit dans le cadre d’un protocole de coopération entre professionnels de santé[4], soit dans le cadre de la pratique avancée.

Concernant le rôle et les tâches des paramédicaux, les textes n’ont pas été modifiés non plus par rapport à l’avis de décret qui avait été publié en 2023[5].

Les obligations principales pour l’opérateur sont toujours : 

  • L’accompagnement du patient pour la mise en fonctionnement et l’initiation à l’utilisation du DMN de télésurveillance
  • L’évaluation de l’adhésion du patient et son suivi tout au long de la télésurveillance
  • La formalisation des informations via un document récapitulatif à donner au patient
  • La gestion quotidienne des alertes (pré tri) et lecture des rapports à minima semestriellement
  • La gestion des alertes de non-transmissions dans un délai maximal de 48h ouvrées après l’émission de l’alerte

 

2. Ce qui change

 

La prescription de télésurveillance

Un des points majeurs qui diffèrent par rapport à ce que nous connaissions, et qui n’est pas sans conséquence pour les équipes soignantes, c’est l’obligation de fournir une prescription de télésurveillance à l’exploitant du dispositif.

Il est nécessaire de délivrer dans un premier temps, une ordonnance initiale de 6 mois à l’inclusion du patient. L’objectif est d’évaluer l’intérêt de la prestation de télésurveillance du patient (sorte de période d’essai d’adhésion du patient au suivi).

Puis, dans un second temps, une nouvelle prescription de 12 mois maximum, qui sera à renouveler chaque année.

En théorie, cette nouvelle formalité semble être un détail dans le travail quotidien du paramédical.

En pratique, il accroît encore un peu plus sa charge de travail administratif, déjà importante.

Ce qui pose un problème au soignant, quel que soit sa spécialité finalement, c’est la lourdeur des tâches qui ne sont pas propres à sa profession : les tâches administratives. Elles s’ajoutent au compte-goutte, silencieusement, et au bout du compte, elles grignotent toujours plus sur celles qui relèvent de son rôle propre.

Il est évident que les équipes s’adapteront, comme elles l’ont toujours fait, et trouveront des solutions. Cela leur demandera de penser à une nouvelle organisation, de trouver un système plus ou moins automatisé de rappel afin de savoir qui, et quand facturer.

Il faut garder à l’esprit que cette nouvelle obligation se traduit dans la pratique, par plus de manipulations au quotidien : récupérer un document auprès du médecin, le scanner, le télécharger sur une plateforme ou l’envoyer par mail, tracer quelque part cet envoi afin de se souvenir quand envoyer le prochain. Sans oublier les échanges complémentaires avec les exploitants en cas d’oubli ou d’erreur.

En résumé, beaucoup d’énergie et de temps qui ne seront pas utilisés dans la prise en soin du patient, fondement du travail soignant.

 

Le numéro de sécurité sociale

Il est obligatoire de fournir à l’exploitant le numéro de sécurité sociale du patient pour chaque nouvelle inclusion. En général il est assez simple à trouver, mais dans certains cas, cela peut s’avérer compliqué. Certains patients n’en ont pas (non connus de la caisse de sécurité sociale lorsque l’on facture), ou bien il n’apparait pas dans son dossier médical.

Dans tous les cas, il revient à l’infirmier de le trouver (voire d’enquêter), parfois de le transmettre au médecin pour la rédaction de l’ordonnance, de le noter sur la fiche d’inclusion, de le noter à nouveau sur la plateforme d’envoi de l’exploitant sur laquelle il inscrit les patients et envoie les documents.

Ce qui se traduit une fois encore, par beaucoup de manipulations et de micro tâches pour le paramédical. Quand elles sont répétées plusieurs centaines de fois par an, cela représente un temps non négligeable, consacré à effectuer de la saisie.

 

La facturation

Nous avions l’habitude chaque année de facturer deux semestres de télésurveillance à 65 euros avec le code TSM.

Depuis le 31 mars, ce code a disparu, et nous devons facturer : soit un acte de télésurveillance à 11 euros chaque mois pour chaque patient, soit nous pouvons cumuler six mois en une fois, c’est-à-dire six actes (donc six lignes) x 11 euros, soit 66 euros tous les six mois en utilisant dorénavant le code TVA.

La facturation était déjà très chronophage pour tous les centres, et plus spécifiquement pour les paramédicaux qui en sont très souvent responsables.

Les paramédicaux de la SFC avaient publié en 2023, l’enquête sur le rôle des paramédicaux dans la surveillance des dispositifs cardiaques implantables en France[6], dans laquelle, 66% des paramédicaux déclaraient gérer cette activité.

Car là encore, ce sont eux qui sont au premier plan. Tous ne sont pas impliqués au même niveau : certains la gèrent du début à la fin, c’est-à-dire qu’ils doivent suivre un calendrier avec le rappel des patients à facturer tout au long de l’année, puis effectuer ensuite eux même cette facturation (souvent les centres privés). D’autres, ne s’attèlent qu’à la première partie du processus et transmettent les patients à facturer à leur service facturation (souvent les centres publics).

Avec l’entrée dans le droit commun, cette tâche devient elle aussi beaucoup plus astreignante puisque peu importe que l’on choisisse de facturer mensuellement ou de cumuler 6 actes chaque semestre, cela représentera toujours, six fois plus de saisie. C’est mathématique.

Nous pouvons toutefois entrevoir une lueur d’espoir grâce à certains exploitants, qui travaillent activement sur des plateformes d’envoi et de semi-automatisation des prescriptions, ainsi que d’aide à la facturation. Elles permettront aux utilisateurs de savoir quels patients sont à facturer (un calendrier automatisé)

Il est dans leur intérêt que le processus soit organisé et efficace puisqu’ils ne pourront facturer le forfait exploitant que si le forfait opérateur est facturé simultanément (c’est pourquoi la prescription est demandée)

Nous entrons donc dans une vraie collaboration exploitants/opérateurs avec davantage d’aide de la part des industriels dans l’activité de télésurveillance et de suivi des patients.

L’implication des deux parties s’équilibre enfin, et c’est tout à fait justifié. Cette aide des laboratoires sera précieuse pour les paramédicaux.

 

Les patients non-ALD et les mutuelles

Les patients implantés d’un défibrillateur sont automatiquement en ALD, la télésurveillance est donc remboursée à 100% (part AMO) pour eux. En revanche, ce n’est pas le cas des patients implantés d’un stimulateur cardiaque, pour qui, la télésurveillance n’est remboursée à 100% que s’ils bénéficient d’une ALD Cardio uniquement.

S’ils ne sont pas en ALD, la part AMO sera de 60% avec 40% de reste à charge à payer par le patient ou pris en charge par sa complémentaire santé.

A priori, la plupart des mutuelles prendront en charge le complément. A confirmer sur le court terme.

La nouvelle difficulté pour les médecins va être de savoir de quelle ALD bénéficie le patient, ce qui est souvent compliqué à identifier. Pour les paramédicaux, il va s’agir de récupérer et de transmettre la carte mutuelle à jour du patient (cela sous-entend, chaque année), puis de la transmettre aux exploitants conjointement avec la prescription et le numéro de sécurité social.

A nouveau une tâche administrative qui s’annonce compliquée, récurrente et rébarbative pour les paramédicaux.

 

La gestion des non-transmissions

Ce point n’a pas changé, mais il est étroitement lié à la facturation. En effet, pour pouvoir facturer une période de télésurveillance, il faut que le patient ait transmis au moins 50% du temps durant la période concernée.

C’est à l’opérateur, donc aux paramédicaux, qu’il revient de gérer les alertes relatives à la non-transmission. Ainsi, il doit contacter le patient pour connaître la raison de l’absence de transmission, dans un délai maximal de 48h ouvrées après émission de l’alerte.

S’il s’avère que la cause est un dysfonctionnement du transmetteur, l’infirmier doit ensuite prévenir le fabricant afin qu’il règle le problème technique.

Cette obligation sera donc compliquée à honorer de par le délai de réaction qui est imposé par la nouvelle réglementation.

Cependant ce n’est pas une révolution pour les paramédicaux qui gèrent déjà les patients déconnectés, et qui seront tous d’accord pour dire que cette tâche est probablement la plus chronophage de toutes, si elle est faite sérieusement.

Là encore, les industriels vont se voir contraints d’aider les centres dans ce processus puisqu’un patient qui aura moins de 50% de remontées de transmissions, ne pourra pas être facturé pour la période de télésuivi concernée. Ni par l’opérateur, ni par l’exploitant.

Avec l’entrée dans le droit commun, globalement, les tâches des paramédicaux resteront donc identiques.

A la lecture des textes, on peut penser que finalement, peu de choses changent, et seules quelques formalités s’ajoutent : une prescription, des lignes de factures et une carte mutuelle. Cependant quand on a connaissance du travail que cela demande, on se rend compte que ces obligations sont peu à peu en train de transformer la nature de l’activité de télésurveillance pour l’infirmier.

Initialement son rôle était centré autour de l’éducation, l’accompagnement et le suivi du patient. C’est ce qui a rendu ce nouveau métier attractif pour les soignants : être plus autonome dans son travail et dans la prise en charge du patient, mieux le connaître, construire une relation de confiance avec lui, pouvoir lui consacrer plus de temps, bref, prendre soin.

Aujourd’hui, le rôle du paramédical en télécardiologie tel qu’on nous le propose à travers ces obligations, se définit comme étant d’assurer une coordination administrative parfaite entre tous les acteurs intervenants dans ce suivi : médecins, CPAM, mutuelles, exploitants.

Nous sommes dans de la récolte et de la transmission de données, de documents, de pourcentages de connexion et de traçabilité.

Il semble urgent que ces tâches administratives soient effectuées par du personnel dont c’est le rôle : des agents administratifs ou des secrétaires.

Les paramédicaux doivent retrouver le temps de faire ce pourquoi ils ont été formés, et ce pour quoi ils ont décidé un jour de choisir cette profession : le soin et le prendre soin.

Certains établissements se sont déjà dotés d’un ou plusieurs agents administratifs dédiés à la télésurveillance.

D’ailleurs, ce point fait parti du consensus d’experts HRS 2023[7] dans lequel il est recommandé d’avoir 3 ETP pour une file active de 1000 patients. Il est suggéré également que les tâches administratives peuvent tout à fait être réalisées par du personnel administratif.

3 ETP ne signifie pas nécessairement 3 infirmiers. Cela peut être : 1 infirmier/ 1 médecin/1 secrétaire

La mise en place de cette activité dans les centres a été un vrai défi pour les établissements qui en fonction de leurs moyens et leur implication, ont tout de même réussi à mettre en place des organisations efficaces, et à créer des postes dédiés.

Nous sommes entrés le 31 mars dans l’ère d’après. Il y a à présent de nouveaux challenges à relever pour les centres implanteurs, de nouveaux enjeux économiques et politiques pour les industriels, des pressions aussi.

Les paramédicaux se retrouvent dans la situation où ils doivent à nouveau repenser leur travail et composer avec toutes ces problématiques, tout en gardant du plaisir à exercer leur profession.

C’est aussi à eux de se battre pour obtenir ce temps administratif si précieux. Chacun à un rôle à jouer dans la construction de ce nouveau modèle.

Malgré les difficultés à venir, n’oublions jamais que la télésurveillance des prothèses rythmiques est une avancée fabuleuse dans le suivi et la prise en charge des patients implantés, mais aussi pour la profession infirmière.

La télésurveillance en général, a permis de nouveaux métiers et de nouvelles perspectives d’évolution pour les paramédicaux.

Faisons en sorte que cela continue et que ce soit le début d’une aventure pérenne.

  • Nom du fichier : Paramedicaux article 2907
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